Ce qui est très bon dans Mildred Pierce vu par Todd Haynes n'est pas dans le roman, mais ne représente pas 10% des 5 heures que dure la série. Grosse déception.
3 petits tours et puis s'en vont
5 épisodes diffusés en 3 semaines, c'est Mildred Pierce, la dernière mini série "de prestige" produite par HBO. Dernière, pas exactement puisqu'on parle encore d'autres réalisateurs de "cinéma" désirant travailler pour HBO et déjà en tournage...
Il a déjà été question ici du film qu'avait tiré Michael Curtiz avec Joan Crawford du roman de James M. Cain. L'annonce que Todd Haynes s'était lancé dans une nouvelle version était excitante. Suffisamment excitante pour susciter l'envie de re-voir le film de Michael Curtiz, et de lire le roman de James Cain.
Il est temps ici d'inviter le lecteur qui souhaiterait voir la série ou lire le livre que certains passages vont lui être révélé.
La lecture du roman de Cain est passionnante. Le film de Michael Curtiz s'éloigne tellement du roman qu'il en fait une chronique aux allures de film noir, mais surtout un grand film. Dans le roman, le lecteur découvre un style vif et brutal. Brutal dans la perception des rapports de classe et les rapports sexuels. Pour les hommes qui sont après elle, Mildred est une paire de jambes, tout comme Mme Biederhof (maîtresse de son mari) est vue par sa fille Veda et Monte Beragon, comme une paire de seins qui ballottent. Dès lors, on n'est plus étonné de voir Veda rejeter sa mère comme elle rejette la Biederhof et avec elles, toute la classe laborieuse.
D'où vient donc la déception ?
En pleine crise économique, Mildred Pierce (Kate Winslet), livrée à elle même et aux goûts de luxe de sa fille Veda, se jette, malgré elle et à corps perdu dans le travail. Serveuse dans un restaurant, c'est à peu près ce que Veda (mais aussi Mildred, il faut le reconnaître) pouvait imaginer de pire. Sa passion aveugle pour sa fille lui donne l'idée folle d'ouvrir un restaurant. Son intelligence en fera un succès que sa passion redoublée mettra à sac.
Le téléfilm de Haynes s'attache à "rétablir" la version de Cain en collant au plus près du texte. Mais jamais Todd Haynes ne parvient à transcender le roman. On pouvait pourtant imaginer que le personnage de Mildred Pierce, dans son obsession, son obstination à tout offrir à sa fille, inspire autant Todd Haynes que la descente aux enfers de Juliane Moore dans Safe. Le problème de la série vient du scénario. Todd Haynes fait comme si, HBO lui offrant 5 épisodes pour réaliser son film, il pouvait se dispenser de faire la moindre adaptation. Un épisode de plus et on aurait eu sur l'écran l'intégralité du roman à la virgule près.
Là où Michael Curtiz transformait le roman, Todd Haynes copie colle.
A mon avis, plutôt que Mildred, c'est Veda, grand personnage malade, qui aurait dû être l'objet de toute l'attention du réalisateur. Veda, en 2011, reste un personnage comme on en voit peu au cinéma ou à la télé. Ma plus grande curiosité était de découvrir comment Haynes allait traiter la musique, les déboires et succès artistiques de Veda. Hélas, il y a énormément de déjà vu et déjà entendu dans Mildred Pierce.
Il y a pourtant de bonnes idées :
- Comme, par exemple, celle de raconter le passé glorieux des Pierce avec le panoramique sur les photographies pendant la dispute de la première partie.
- Comme le départ de Mildred de chez Mme Forrester, lorsqu'elle comprend qu'elle ne peut pas prendre ce job, sortant hagarde et oppressée.
- Comme lorsqu'elle entre dans la cuisine du restaurant de Mr Chris, comme portée. Dans le livre, c'est "comme si elle avait marché vers la chaise électrique".
Quelques séquences s'élèvent au dessus des autres
La première fois que Mildred entend sa fille chanter à la radio. Radio installée au restaurant de Laguna. Mildred est filmée avec le père de Veda et un client bavard du restaurant. Puis peu à peu, la radio, puis simplement la voix de Veda chantant l'Air des Clochettes du Lakmé de Delibes tandis que Mildred s'isole sur la plage afin d'avoir la voix de Veda pour elle seule. Dans cet air célébrissime, Veda se dit "fille des parias", "Rêvant de douces choses" et "riant à la nuit à la nuit!", lorsque l'écran devient noir. On ne saurait mieux résumer l'état d'esprit de Veda et ce qu'elle fait vivre à sa mère. A la fin de cette séquence, Mildred se tient sur la jetée, bouleversée face aux vagues cognant les rochers, comme Joan Crawford, au début du film de Curtiz.
Dans le roman, Veda chante la Polonaise de l'opéra Mignon, et Mildred est décidée à regagner le cœur de sa fille quoi qu'il lui en coûte. Le décalage opéré par la version Haynes est judicieux en ce sens qu'il laisse Mildred à son émotion tout en laissant très peu d'espoir quant à une possible réunion.
Est-il d'ailleurs possible d'envisager la moindre réunion avec une voix ? Lorsque Treviso, le chef d'orchestre italien, a refermé brutalement le piano sur les doigts de Veda, le son a été amplifié à juste raison, plongeant Veda dans le doute, dans une série d'évènements qui vont provoquer la séparation d'avec Mildred, et finalement, lui permettre de découvrir son talent de soprano. Et c'est le même Treviso qui explique à Mildred que sa fille est un serpent qu'elle ne pourra jamais apprivoiser.
Ainsi, lorsque Veda revient vers Mildred, c'est parce que cette dernière a racheté la demeure des Beragon, et c'est encore la voix de Veda, maîtrisant l'art de la conversation, qui accapare l'attention de l'assistance, Monty y répondant de manière tout à fait désinvolte tandis que Mildred est incapable de dire quoi que ce soit.
Comment le pourrait-elle, n'étant pas à sa place dans ce palais ?
Ainsi, après cette soirée de retrouvaille, on entend Casta Diva, l'ouverture de l'opéra de Bellini, Norma (Norma ou l'infanticide). Mildred peut enfin embrasser sa fille sans se voir repoussée puisque Veda est endormie (morte ?). Cette scène dialogue avec la séquence de l'affrontement suivant la découverte du lit vide de Veda. Cette dernière s'étant réfugiée dans la chambre de bonne occupée par Monte. séquence au style outrageusement et sublimement pompier. Rouge ton sur ton jusqu'au cheveux et aux lèvres de Veda, la couverture et les murs de velours rouges.
Monty maugrée des paroles confuses tandis que le visage de Mildred Pierce se décompose dans cette chambre, ultime vestige à la gloire des Beragon dont le portrait d'un ancêtre apparaît comme pour rejeter Mildred (paria) et accueillir Veda, qui va pouvoir partir à New York avec un juteux contrat en poche et un Beragon dans sa valise. Comme le riche collectionneur américain rêvait d'un prince italien pour sa fille dans La Coupe d'or d'Henry James. Mildred se jette alors comme un fauve sur sa fille nue comme pour répondre à l'invitation à l'infanticide de l'air d'opéra chanté plus tôt par Veda.
A part ça il y a également une belle lumière, tout est beau, ensoleillé, baigne dans la musique, très décontracté. Il y a du beau monde : Kate Winslet en tête, mais aussi Melissa Leo Carter Burwel a composé la musique (avec des chutes de Barton Fink semble-t-il). C'est du bon boulot, mais...